Toutes les personnes croisées au Caire nous l’affirmaient : « Humaytharâ ? Trop dangereux. La zone militaire, les contrôles… c’est impossible. Il vaut mieux oublier. »
Pourtant, nous ne pouvions nous résoudre à abandonner. Il devait y avoir un chemin. Comme si le désert lui-même nous appelait.
Le destin a aidé, à sa manière - par une valise qui céda à l'usure du voyage. Nous voilà donc à 21 heures dans une petite boutique du Caire. Mon regard fut attiré par le portrait du cheikh Ibrâhîm al-Disûqî accroché derrière le comptoir. Le propriétaire, étonné que je reconnaisse ce saint soufi, nous offrit un thé épicé. Une heure plus tard, nous repartions – une valise neuve à la main, une image sacrée sous le bras, et surtout… le bon itinéraire pour Humaytharâ.
Le désert et ses miracles
Voyage en train de Louxor à Eidfou. Sur la place poussiéreuse, il a fallu près d’une heure pour convaincre Hatim, notre guide, au regard hésitant. Le voyage étant assez long, il faudrait passer une nuit sur place. Dans sa camionette, Hatim déposa plusieurs bidons d’essence et une bonne réserve d’eau.
« Oui, elles font partie de ma famille », répétait-il à plusieurs reprises aux militaires lors des contrôles. Peu à peu, la route s’effaça en une piste dans le désert.
Humaytharâ, oasis spirituelle abritant le sanctuaire de l'Imam al-Shadhilî (mort en 1258), fondateur d'une des grandes voies soufies, se dévoilait enfin.
Hatim avait déjà conduit des visiteurs jusqu’ici, mais pour une raison inconnue, il n’avait jamais pénétré à l’intérieur du sanctuaire. Intrigué par la détermination de deux femmes venues spécialement d’Europe, il se décida à franchir le seuil et participa même à une séance de dhikr (invocation).
À peine franchi le seuil du sanctuaire, un oiseau blanc surgit dans la pénombre. Il décrivit trois cercles parfaits sous la coupole, comme un signe tracé dans l'air. Premier message silencieux de ce lieu au milieu du désert.
La générosité
Nous sommes en 2009. Le sanctuaire est en rénovation, et juste à côté la mosquée neuve en construction. Après la prière du vendredi, un inconnu me saisit la main, pressa son pouce contre le mien : « On se retrouvera au Paradis, inshAllah. » Puis il disparut dans la foule.
Hatim se met à la recherche d’un logement. Il n’y avait pas (encore) d’hôtel à Humaytharâ. Heureusement, à 500 mètres, la zâwiya de cheikha Zâkkiya nous ouvrait ses portes. Nourriture, thé, lit simple, nous avons été accueillies les bras ouverts. Ici, la générosité du cœur est incarnée au quotidien et les pourboires ont été poliment refusés.


Instants d’éternité
Le lendemain, nous quittons Humaytharâ le cœur léger, après un séjour où le temps semblait suspendu. L’immensité du désert est transformatrice. A l’intérieur de moi, j’y sens désormais un espace infini, comme un élargissement de la conscience. Une certitude m’habite : le mot « impossible » ne fait pas partie du dictionnaire divin !