Après une nuit passée dans une yourte au cœur du désert du Karakoum, nous entamons un voyage matinal d’environ trois heures en jeep. Notre destination: Kounia-Ourguentch, une ancienne ville de la Route de la Soie. Ravagée par l’invasion mongole de 1220, elle conserve aujourd’hui quelques monuments émouvants, notamment des sanctuaires qui témoignent de son glorieux passé. C’est ici que repose le cheikh Najm ud-Dîn Kubra, figure spirituelle vénérée.
Dans l’un des bâtiments les mieux préservés, le mausolée de Turabek Khanum, je commence à explorer les lieux, encore hésitante, lorsqu’une femme sans âge s’approche de moi. Elle revient tout juste du pèlerinage à la Mecque et habite à près de 1 000 km d’ici, soit quatre heures d’avion ou onze heures de route. « Notre rencontre sous cette coupole n’est pas un hasard, me dit-elle. Je suis venue vous apporter la baraka de la Mecque. » Sa voix est douce, et empreinte d’une profonde conviction. Elle m’embrasse chaleureusement, me serre longuement dans ses bras. Émue, elle laisse couler des larmes. Moi aussi, je pleure. À cet instant, nous ne sommes plus deux étrangères, mais UN. C’est un moment magique, unique, qui transcende les mots.
Puis, une jeune mère tenant une petite fille dans ses bras s’approche de la femme. Elles échangent quelques murmures. Un morceau de tissu est étalé sur le sol, et la petite fille y est déposée délicatement. La guérisseuse relève son vêtement et commence un massage rapide mais précis, appuyant sur certains points de son corps, insistant particulièrement au niveau du nombril. Un sourire, une poignée de main, et la scène s’achève aussi vite qu’elle a commencé.
Tout s’est déroulé dans l’instant présent. Je ne connais pas son nom, je ne sais rien d’elle, mais cette rencontre m’a laissé une empreinte profonde. Chaque jour, elle revient dans mes pensées. Ce fut intense, bref, et pourtant d’une profondeur inouïe. Une connexion qui semble avoir transcendé les langues et les cultures. Je ne parle pas turkmène, elle ne parle pas français, et pourtant, nous avons partagé un moment d’unité. D’elle émanait une vibration d’amour maternel, de solidité, de force et de tendresse.
Je me suis souvent demandé si une telle rencontre serait possible en Europe. Un échange avec des inconnu·e·s dont on ne partage ni la langue ni les codes, mais où quelque chose d’indicible se produit, créant un sentiment profond d’appartenance à une même famille. Peut-être qu’en Orient, l’ouverture du cœur est plus naturelle. Je ne saurais l’affirmer, mais c’est l’impression qui m’en reste.
Même des semaines après, cette expérience continue de me nourrir et de me faire vibrer. Les mots me manquent pour en exprimer toute la richesse, alors je me contente de dire : MERCI, la Vie.